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Évelyne Buissière (avril 2006)

Introduction

Avec les idées esthétiques, Kant semble aller vers une conception de œuvre d’art comme écho d’un infini. Dans sa théorie du sublime, au contraire, il semble nous dire que le sublime devant être distingué du beau, le beau est soumis à la mesure de la forme et il ne peut donc refléter l’infini. Peut-on résoudre cette apparente contradiction et fonder une continuité entre Kant et l’idéalisme allemand qui verra dans l’art le reflet du spirituel ? Les réflexions de Cassirer qui permettent de penser l’identification de la liberté à l’activité et donc de l’activité à l’infini peuvent nous donner une piste.

Cassirer consacre un article à La valeur éducative de l’art et il constate que dans la tradition l’art est plutôt conçu comme une puissance anti-éducative. Pour Platon, il nourrit les passions qu’il conviendrait de dessécher. Dans sa Lettre à d’Alembert sur les Spectacle, Rousseau s’oppose à l’installation d’un théâtre à Genève car cela ne pourrait que corrompre les mœurs républicaines des Genevois. Cassirer s’oppose à cette idée qui suppose que le spectateur est un réceptacle passif de ce que l’art vient déverser en lui par la persuasion des passions. « Même le spectateur d’une œuvre d’art n’est pas réduit à un rôle simplement passif. Pour contempler et pour jouir de l’œuvre d’art, il doit la créer à sa façon. Nous ne pouvons comprendre ou sentir une grande œuvre d’art sans, jusqu’à un certain point, répéter et reconstruire le processus créatif par lequel elle a vu le jour.

L’expérience esthétique est toujours une attitude dynamique et non pas statique – tant pour l’artiste lui-même que pour le spectateur. Nous en pouvons vivre dans le royaume des formes esthétiques sans participer à la création de ces formes. ». Le spectateur est loin d’être un réceptacle passif. Il reconstruit une forme. C’est déjà ce que Kant laissait entendre avec son libre jeu de l’entendement et de l’imagination. Cassirer explique cette idée avec l’exemple de la beauté de la nature. Lorsque je me promène en montagne, je peux avoir plaisir à sentir la fraîcheur et la pureté de l’air, le silence troublé des seuls petits bruits de la nature, la douceur des couleurs loin de l’agressivité de celles que nous voyons en ville…. (l’exemple est de Cassirer, pas de moi comme vous pourriez le supposer…) Bref, toutes ces sensations produisent un état agréable de calme intérieur et de sérénité. Mais je n’ai pas encore un regard esthétique sur la nature, j’ai plutôt une attitude hédoniste. Pour avoir un regard esthétique, je vais dégager des formes et considérer le spectacle de la nature sous l’aspect de ses formes. Je vais reconstruire mentalement « un équilibre de lumières et d’ombres, de rythmes et de mélodies, de lignes et de contours, de motifs et de dessins. ». Cassirer écrit : « Cette dimension dynamique donne au matériau statique une nouvelle teinte et une nouvelle signification. Tous nos états passifs sont à présent devenus des énergies actives : les formes que j’aperçois ne sont pas seulement mes états mais mes actes. ». Cassirer en conclut que l’art est un chemin vers la liberté c’est-à-dire vers notre libération de la passivité par rapport au donné naturel. Avec l’art, nous reconstruisons activement ce qui est donné passivement à notre sensibilité. Danto s’interrogeait sur ce qui distinguait Fountain d’un urinoir et ne trouvait rien dans les caractéristiques perceptives de l’objet. Pour Cassirer, Fountain serait un urinoir à reconstruire mentalement dans sa forme tandis qu’un urinoir normal n’est pas reconstruit formellement, il est simplement perçu. L’art est donc un pas vers la liberté, c’est-à-dire vers l’activité par opposition à la passivité. C’est dans la même perspective que Schiller aborde l’art à partir de sa lecture de la Critique de la Faculté de Juger. Dans ses Lettres sur l’Education esthétique de l’humanité, il montre que l’art a une fonction éducative à la liberté car il permet une activité accomplies de la sensibilité et de l’entendement et dans le même temps, l’œuvre d’art est une incarnation de la liberté dans le phénomène.