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Élodie Gaden (août 2007)

L’Horizon fabuleux - Michel Collot

Ouverture : de l’horizon du paysage à l’horizon des poètes

M. COLLOT donne la définition suivante :

« Le paysage est perçu à partir d’un point de vue unique, découvrant au regard une certaine étendue qui ne correspond qu’à une partie du pays où se trouve l’observateur mais qui forme un ensemble immédiatement saisissable. »

D'où :

Conclusion : 1) « lieu qui est un non-lieu, utopie du désir, qu’aucun déplacement dans l’espace ne permet de rejoindre. (…) faute de pouvoir s’y transporter, le poète essaiera de l’approcher par des méta-phores. » 2) Principe d’une ouverture infinie, il est également le sceau de notre finitude.

Petite histoire de l’horizon

Évolution lexicale du mot horizon suivant 3 phases :

Ch. 1 : Du fini à l’infini

Terme féminin qui apparaît au XIIIème siècle dans le langage astronomique. Il traduit l’idée de limite. Par glissement métonymique, il désigne la partie du paysage qui est voisine de la ligne de l’horizon. Le monde classique, malgré les avancées de Copernic, reste un monde clos et la conception d’un univers infini n’est pas acceptée : l’art classique, rebelle à l’idée d’infini, valorise la limite. Dans les tableaux : convergence des perspectives pour circonscrire une totalité harmonieuse et close. Dans la société : structure sociale très fermée, avec des règles fixes, qui correspond au primat de la raison cartésienne : obligation d’une perception claire, entendement fini de l’être humain qui ne peut concevoir l’infini.

Au cours du XVIIème, le mot horizon se répand dans la langue littéraire : il désigne la ligne d’horizon mais aussi l’ensemble de l’étendue offerte au regard de l’observateur. Cette extension dans la langue s'explique par les voyages aux longs cours qui permettent de découvrir, au delà de l’horizon familier. (Ex de Bernardin de St Pierre)

De plus, la Raison manifeste une ambition conquérante et refuse de se laisser enfermé dans le cercle du dogme religieux.  « l’extension du champ visuel est inséparable d’un accroissement des pouvoirs de l’esprit. » (M. COLLOT) D'où un développement de l'emploi métaphorique du mot horizon (paronomase horizon/raison) avec l’idée d’extension, d’étendue qui témoigne de la confiance placée en la progression de l’esprit et de la raison humaine. « L’horizon de nos idées s’étend de jour en jour. » Helvétius, 1777.

Ce changement dans les mentalités est visible en art: les jardins à la française laissent place aux jardins à l’anglaise, la perspective et la convergence des lignes à un lointain indéfini et à un point de fuite. Le poète cherche même à travailler dans le champ, horizon ouvert, pour trouver l’inspiration.

La libération intellectuelle et sociale a permis la libération esthétique à l’égard des règles classiques.

Ch. 2 : Horizons du romantisme (ou « le triomphe de l’infini sur le fini »)

Hugo : « Dans le vieux monde (…) le sentiment du fini dominait. Tout avait une limite. (…) le sentiment de l’infini plane sur le monde moderne. (…) L’idéal moderne, ce n’est pas la ligne correcte et pure, c’est l’épanouissement de l’horizon universel. »

Paysage 

La mode de la perspective infini est amorcée par Chateaubriand dans le Génie. Le coucher de Soleil : « Le crépuscule, en approfondissant l’espace, en confrontant à l’horizon le ciel et la terre, semble offrir l’image d’un au-delà que la conscience romantique ne peut que pressentir mais qu’elle postule comme objet ultime de ses aspirations. » L’horizon devient pour le romantique le point de rencontre entre l’ici-bas et l’au-delà. Il peut devenir le symbole de la dualité de l’homme déchiré entre son appartenance à la terre et son aspiration au céleste.

Métaphysique

Suggestion nouvelle d’un invisible : cet intérêt correspond à un nouvel intérêt philosophique : il s’agit pour le spiritualisme romantique de dépasser l’horizon naturel, ce qui implique s’affranchir des limites des sens, voire de la Raison. L’horizon est considéré comme une prison dont l’âme doit se délivrer en même temps que les liens du corps et les limites des sens. La sortie de l’horizon, le romantisme la trouve dans le sentiment religieux et dans la poétique. L’accès à l’horizon ne passe plus par la raison mais par une connaissance de type supra-rationnel ou affectif.

Dieu représente pour l’esprit humain un but inaccessible mais il incite à la conquête de vérités toujours nouvelles et non à la résignation. Dieu se dévoile peu à peu (va de paire avec la conception hégélienne : Dieu se situe à l’horizon d’une humanité en marche vers lui. Idée de Progrès : l’absolu a quitté la sphère close de l’éternité pour l’horizon ouvert de l’avenir, Dieu est un Idéal).

« Placer la Liberté ou la Justice à l’horizon c’est la faire descendre du ciel des valeurs éternelles pour la ramener au niveau de l’humanité et la proposer pour but à ses efforts. Mais c’est en même temps la désigner comme inaccessible, comme un pur idéal. » (cet idéal est la « Mecque du genre humain » Hugo)

« Ils vont ! Les horizons aux horizons se succèdent, Les plateaux aux plateaux, les sommets aux sommets. On avance toujours, on n'arrive jamais » Hugo, Les Châtiments

Temporalité

La mise en mouvement de l'horizon témoigne de l'inquiétude des romantiques face à cette accélération du temps. L'horizon est toujours un lieu de changements : les romantiques vivent leur temps comme une époque de transition, prise entre le déclin d'un monde révolu et l'avènement d'un nouvel univers => le mal du siècle, d'où le sentiment d'une durée écartelée .

D'où aussi, l'association entre horizon et nostalgie, puisque le propre de la nostalgie est de se donner un objet qui recule indéfiniment, comme l'horizon. L'éloignement du passé à l'horizon revêt une double valeur symbolique:

Cependant, la symbolique temporelle des romantiques n'est pas uniquement nostalgique: elle met aussi en avant une levée d'espérances et croyance en l'avenir: un monde neuf en vue, d'où l' équivalence entre horizon et avenir. On est passé de la mentalité conservatrice du classicisme à une valorisation de la nouveauté. Cette optimisme est un véritable acte de foi car les romantiques ne pouvaient avoir aucune assurance en l'avenir. C'est pour cela que récurrence des thèmes de l'exil et de l'errance (l'horizon reste associé à l'inquiétude.)

Subjectivité et intersubjectivité

En même temps qu'il découvre le moi, le romantique en découvre les complexités qu'il exalte car elles procurent à son narcissisme un inépuisable objet d'investigation. : M. COLLOT parle d'une « psychologie des profondeurs ». Le moi peut être comparé à l'horizon, car il est comme lui invisible et mobile: il transporte une part irréductible d'inconnu. Au glissement incessant des horizons temporels répond l'essentielle labilité de ce « moi fugitif, insoluble problème, Qui ne se connaît et doute de lui-même » » (Lamartine).

Cette altérité secrète confère au romantisme une signification métaphysique: elle y voit un mystère qui relie l'individu au mystère de la création.

Esthétique

Le lyrisme romantique, loin d'être uniquement un culte de l'intériorité, est surtout la convocation du monde pour donner forme à la vie subjective:

« Si vous avez en vous (...) Un monde intérieur d'images, de pensées (...) Échangez le sans cesse Avec l'autre univers visible qui vous presse! Mêlez toute votre âme à la création. » (V. Hugo)

Cet échange entre monde intérieur et monde extérieur est la pierre de touche de la modernité selon Baudelaire : l'art moderne est « une magie suggestive contenant à la fois l'objet et le sujet, le monde extérieur et l'artiste lui-même. » (Baudelaire, L'Art philosophique). Le romantique ne peut se satisfaire de ce qu'il voit , il désire aller au-delà, dépasser le visible vers l'invisible: cette insatisfaction fait de lui un idéaliste. « le romantique peint non ce qu'il voit, ms ce qu'il rêve. » (M. COLLOT)

Ainsi, on constate tout un pouvoir de suggestion de l'oeuvre romantique par:

Ch. 3 : L’horizon négatif

Après le romantisme: remise en question des connotations du terme horizon car crise des valeurs religieuses, morales et politiques.

En Politique, origine de cette crise: 1848: fin d'une alliance du gouvernement avec le peuple devenu le prolétariat moderne. (Renan: la crise de 1848 fut « comme la chute d'un rideau de nuages qui dissimulait l'horizon. ») Le messianisme romantique laisse place au pessimisme général car l'avenir semble se refermer.

En religion : d'une perspective sur le futur au delà du réel, on passe à un repli sur une réalité dont on accepte les limites: le positivisme inspire le naturalisme ou le Parnasse; on renonce aux ambitions métaphysiques ou politiques de l'écriture : l'art pour l'art. Cependant, si la thématique de l'horizon continue d'être utilisée, elle est inversée : substitution de la clôture à l'ouverture, l'ouverture est ouverture à vide, ouverture abyssale.

Paysage: l'horizon comme fond ou comme abyme

On confère à l'horizon une fonction délimitatrice : il est plus un écran qu'une échappée vers l'invisible. Il est un fond qui ferme le tableau et qui assure aux figures leur meilleure définition.

En poésie: préférence pour une forme fixe : le sonnet.

En peinture:

L'infini de l'horizon est le lieu de l'errance plus que le lieu de la quête. Le regard se perd à l'horizon, sans accéder à un autre monde : aucune compensation métaphysique. (lexique de la perte = angoisse de la déperdition et de l'égarement : l'homme est livré à la démesure de l'univers)

Donc le regard post-romantique se porte sur des horizons plus bas (champs, plaines, plages, plateaux, déserts...). Nouvelles métaphores: le trou, la trouée.

Guerre, vitesse, folie

Le crépuscule des dieux

C'est parce que le ciel est vide de sacré que l'horizon est abyssal. L'horizon n'évoque pas le cercle de la perfection divine, mais un tout qui se réduit à rien faute de fondement métaphysique.

Cet « exil des dieux » signifie :

L'horizon constitue une barrière entre la sphère humaine et la sphère divine. L'horizon fait de la terre une prison.

Le thème du crépuscule des dieux apparaît en leit motiv et exprime à la fois extase et regret pour les post romantiques. Le crépuscule est le moment de la mort des dieux. Cela met en avant la fragilité des dieux qui sont finalement des êtres comme nous. D'où l'image de l'homme / Dieu qui se superpose à l'horizon.

La mort

L'horizon crépusculaire est l'image anticipée de notre propre mort d'où l'imagerie macabre d'une mort sans espoir de survie. L'ultime horizon est l'horizon nocturne car il se croise avec l'obscurité, et ainsi constitue une mort sans appel. (en poésie, une rime nouvelle: horizon / poison)

Temporalité

Les perspectives s'inscrivent dans le prolongement du présent, non dans son dépassement : pas d'Idéal. Même si, avec le socialisme se dessine une transformation révolutionnaire de l'avenir, échec final : cf Germinal

Eros

Les post-romantiques nous montrent une image déchue de l'amour qui se pose comme illusoire, s'affirmant à l'encontre du réel, loin d'offrir une communication avec l'horizon universel. Les figures érotiques remplacent les images sacrées: ce qui signifie que l'absolutisation du plaisir s'est substitué au désir d'absolu : l'horizon ne satisfait pas le désir d'absolu donc on fait de l'objet du désir un absolu en le plaçant à l'horizon.

L'amour pimente un horizon vide => d'où une sexualisation des spectacles de l'horizon (la scène crépusculaire devient une scène érotique car toutes les deux sont envisagées comme l'occasion d'une déperdition d'énergie)

La rime horizon / pâmoison (= évanouissement) insiste sur le caractère fatal de l'amour => Eros / Thanatos. L'amour est une illusion, la volupté un mensonge qui masque la mort.

D'autres poètes chercheront au contraire une certaine intimité : l'espace de la relation amoureuse tend alors à se cloisonner sur lui-même et ouvre un horizon interne : « les yeux dans les yeux, les amants sont l'un pour l'autre l'unique horizon qui leur faire oublier le reste du monde. » (M. COLLOT)

Horizon et illusion

Pour le romantique, l'horizon figurait le fondement transcendant de l'être; désormais, il devient un pur paraître, une sorte de porte de sortie hors du réel, le lieu de l'Imaginaire : un leurre, horizon chimérique. cf: Jules Renard: « Regarder l'horizon, c'est regarder loin, mais c'est aussi regarder quelque chose de faux. »

Caractère utopique et imaginaire de l'horizon vers lequel marche l'homme et qui ouvre la dimension de la rêverie. Le flou de l'horizon n'est plus comme chez les romantiques la marque d'une dématérialisation qui transforme le paysage en vision céleste, mais la confusion de la conscience rêveuse pour qui la frontière entre réel et irréel devient flottante. L'horizon est une pure vision qui relève parfois de la pathologie mentale (cf : usage de stupéfiants, mode des phénomènes para-normaux... -> images provenant d'un en-deçà psychologique)

Démarche de Baudelaire: cultiver l'irréel, grâce au haschisch et au vin : les horizons fuyants. L'usage de poisons met avant tout en danger la raison de l'écrivain : l'accès aux horizons artificiels se paie au risque de la folie: (cf la rime horizon / raison a changé de sens et signifie maintenant l'abandon à l'irrationnel) « Le franchissement de ce seuil est à la fois triomphal, puisqu'il ouvre le champ de la vision, et catastrophique, puisqu'il ouvre l'abyme de la déraison. » (M. COLLOT)

L'aurore est le crépuscule de la raison abdiquant aux forces ténébreuses surgies des profondeurs de l'inconscient.

Pour éviter cette catastrophe, l'Art se propose comme un moyen de maîtriser l'Imaginaire d'où la mise en scène de l'horizon, comme une scène de théâtre. (Cf: les Illuminations de Rimbaud)

« La poeisis tend à se définir de plus en plus comme la production d'un horizon fictif que l'artiste créera de toute pièce en se détournant de l'horizon réel. » (M. COLLOT)

Conclusion : abandon de l'horizon au profit d'une construction de l'esprit car l'horizon n'ouvre plus la perspective d'un salut métaphysique.