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Évelyne Buissière (avril 2006)

II - La mimesis

Le plaisir esthétique est lié à la dimension mimétique qu’Aristote attribue à toutes les formes d’art.

En plus d’être production d’un objet extérieur à l’action les arts sont rangés sous la catégorie de la mimesis. Dans sa Poétique Aristote ramène les différentes espèces de poésie, la plus grande partie de la musique et de la peinture au genre commun de la mimésis. « L’épopée et la poésie tragique, comme aussi la comédie, l’art du dithyrambe, et, pour la plus grande partie celui de la flûte et de la cythare, ont tous ceci de commun qu’ils sont des représentations. »

Mais pour Aristote, la mimesis n’est pas dévalorisée comme pour Platon, elle n’est pas vue comme un éloignement de l’être. Le terme de « représentation » convient mieux que celui « d’imitation » car Aristote traite de la tragédie, il ne considère pas le rapport au modèle mais plutôt les techniques de représentation à l’œuvre dans la tragédie. L’inclusion de la musique dans la mimésis nous oriente aussi vers représentation plus qu’imitation. Les arts se distinguent entre eux par les moyens qu’ils emploient : « telles sont les différences entre les arts, qui tiennent aux moyens de réaliser la représentation. ». Ricoeur commente dans Temps et Récit : « il faut donc entendre imitation ou représentation dans son sens dynamique de mise en représentation, de transposition dans les œuvres représentatives. ». Ricoeur : « Si nous continuons à traduire mimesis par imitation, il faut entendre tout le contraire du décalque d’un réel préexistant et parler d’imitation créatrice. Et si nous traduisons mimesis par représentation, il ne faut pas entendre par ce mot quelque redoublement de présence. ».

L’art produit donc une présence qui reproduit quelque chose qui existe naturellement, qui se réfère à quelque chose qui existe naturellement sans que cette façon de se référer soit un décalque car les méthodes sont différentes suivant les arts. C’est donc bien d’une production dont il s’agit. On produit des représentations par des techniques qui varient suivant les arts.

Sur quoi porte la représentation à l’œuvre dans l’art ? Qu’est-ce que l’art représente du réel ? Quelle est sa perfection propre qui explique le plaisir qui en naît ?

Aristote définit seulement mimésis ou la représentation à l’intérieur de la tragédie. La tragédie représente les actions humaines et on va voir qu’elle ne se contente pas de les imiter ou de les traduire en récits simples selon le vœu de Platon. La mimésis tragique ne porte que sur l’humain, il ne s’agit pas d’imiter la nature extérieure mais des actions humaines et ceci en agençant différents éléments :

« Toute tragédie comporte nécessairement six parties selon quoi elle se qualifie. Ce sont l’intrigue, les caractères, l’expression, la pensée, le spectacle et le chant. ». Il y a une priorité de l’objet de la représentation (intrigue, caractères) par rapport aux moyens (expression, pensée) et au comment, aux modalités du spectacle (chant…).

L’action, l’intrigue est la partie principale de la tragédie. C’est donc l’action qui est imitée et représentée. L’action passe même avant les personnages :

« La tragédie est représentation non d’hommes mais d’actions, de vie et de bonheur et le but visé est une action et non une qualité… de plus, sans action, il ne saurait y avoir de tragédie tandis qu’il pourrait y en avoir sans caractères. ». La logique narrative prime sur la psychologie des personnages. En morale pour Aristote, le sujet est plus important que l’action, dans l’art, c’est l’action qui prime sur les qualités du sujet. Les qualités du sujet interviennent pour distinguer la tragédie de la comédie : « C’est sur cette différence même que repose la distinction de la tragédie et de la comédie : l’une veut représenter des personnages pires, l’autre des personnages meilleurs que les hommes actuels. » Mais à l’intérieur de la tragédie, les caractères sont nobles et l’art du tragédien se voit dans sa façon de présenter l’action, d’agencer les évènements.

C’est donc l’intrigue qui est fondamentale : Ricoeur parle de « mise en intrigue » à propos de la conception de la tragédie d’Aristote : « L’imitation ou la représentation est une activité mimétique en tant qu’elle produit quelque chose, à savoir précisément, l’agencement des faits par la mise en intrigue. ». Cet agencement n’est pas l’agencement naturel, sinon, le tragédien serait un historien.

Comment se caractérise cette mise en intrigue :

La tragédie a donc une logique interne (celle du nécessaire ou du vraisemblable), elle a une dimension naturelle (celle nécessaire au renversement de l’action). Elle se présente donc comme une totalité qui a en elle-même ses propres règles.

Aristote écrit : « Il ressort clairement de tout cela que le poète doit être poète d’histoires plutôt que de mètres, puisque c’est en raison de la représentation qu’il est poète, et que, ce qu’il représente, ce sont des actions ; à supposer même qu’il compose un poème sur des évènements réellement arrivés, il n’est pas moins poète ; car rien n’empêche que certains évènements réels soient ceux qui pourraient arriver dans l’ordre du vraisemblable et du possible, moyennant quoi il en est le poète. ». Le poète fait des intrigues et imite des actions.

L’art imite la nature : dans la tragédie, le poète met en avant la régularité et la nécessité dans les actions des hommes et dans les caractères.

Ricoeur commente : « Composer l’intrigue, c’est faire déjà faire surgir l’intelligible de l’accidentel, l’universel du singulier, le nécessaire ou le vraisemblable de l’épisodique. » Comment de cette construction de la tragédie va naître le plaisir qui montre que la perfection a été atteinte ? Et peut-on qualifier ce plaisir d’esthétique ou bien n’est-ce pas plutôt un plaisir qui se ramène au plaisir de connaître dont l’art en serait que le moyen ?