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Élodie Gaden (mars 2006)

La Commune, 1871

Événements historiques : la Commune

C'est par un chapitre consacré à la Commune de Paris que Michel Winock commence son ouvrage La Fièvre hexagonale, les Grandes crises politiques de 1871 à 1968 [1] : choisir cet événement, comme la première « crise politique » française n'est pas anodin, et montre à quel point 1870 marque une rupture dans le champ politique et social du XIXe siècle.

Avec Michel Winock, nous prenons donc la Commune de Paris comme un point de départ : celui d'une certaine génération de poètes dont l'écriture se fonde sur une esthétique de la rupture, sur l'établissement d'un « contre pouvoir [2] ». en opposition au danger de ce que la tradition monarchique symbolise, avec son ancrage dans la religion chrétienne.

Nous n'allons pas réécrire en détail la Commune de Paris, mais voudrions retenir deux éléments majeurs qui sont utiles pour comprendre la génération de poètes décadents :

La Commune de Paris naît après la guerre contre la Prusse, d'un désir patriotique de ne pas livrer la France aux Prussiens. En effet, après la défaite à Sedan contre la Prusse le 2 septembre 1870, deux problèmes se posent : non seulement le traumatisme de la défaite (traumatisme patriotique lié au sentiment de la grandeur française) mais aussi la question du nouveau gouvernement. Ces deux « problèmes » sont à l'origine de la proclamation de la Commune de Paris qui naît du désaccord profond avec le gouvernement provisoire de Thiers qui signe l'armistice avec la Prusse le 28 janvier 1871.

La France, et surtout Paris, est divisée entre d'une part Thiers – qui incarne la résolution antipatriotique, et le confort bourgeois – et de l'autre une tendance révolutionnaire animée par quelques principes comme « la défense de la République, les armes à la main si besoin, [l']abolition des armées permanentes, [le] droit de regard sur les affaires publiques. » [3]

Le catalyseur de cette antagonisme est l'affaire des Canons de Montmartre bien connue : la garde nationale détient 227 canons (alignés sur la butte Montmartre) dont elle se sert pour faire pression sur le gouvernement provisoire de Thiers. Celui-ci, « au lieu de négocier la démobilisation de ces milices patriotiques, [...] choisit la solution de force » [4] et s'éloigne du danger de la ville, en se repliant à Versailles. A partir de cet instant, le 18 mars 1871, Paris s'enflamme :

c'est la rue qui donne le ton. On se rassemble, on clame, on s'agite, on chante, on investit les casernes, on remplit le vide laissé par les gouvernementaux en déroute. [5]

Montmartre devient lieu de fête et de contre-pouvoir. La Commune de Paris est proclamée, après les élections du 28 mars 1871, « dans une journée de fête révolutionnaire et patriotique, pacifique et joyeuse, d'ivresse et de solennité, de grandeur et d'allégresse » (Jules Vallès) [6]. Henri Lefebvre écrit :

La Commune de Paris ? Ce fut d'abord une immense, une grandiose fête, une fête que le peuple de Paris, essence et symbole du peuple française et du peuple en général, s'offrit à lui-même et offrit au monde. [7]

Une fête, et aussi, une série de mesures tout à fait libertaires, que l'on a pu comparer à la Révolution bolchévique de 1917. Pourtant, la Commune de Paris n'est pas seulement cette fête mais aussi du sang, lors de la Semaine sanglante, du 21 au 28 mai : la Commune s'est vite muée en guerre civile, opposant les mêmes partis qu'au lendemain de l'armistice, mais avec une opposition qui dépasse le clivage idéologique pour conduire à la mort. Dans sa « passion déchristianisatrice » [8], et dans son idéologie égalitaire (véritable « dictature du prolétariat » [9]), la Commune devient une folie meurtrière : vingt mille hommes, femmes ou enfants sont assassinés, entre le 21 mai, date à laquelle les troupes versaillaises entrent dans Paris et le 28 mai, qui marquent la fin des combats au Cimetière du Père Lachaise.

Paul Bourget témoigne lui aussi de l'empreinte laissée par la Commune de Paris dans le cœur des Français :

La génération nouvelle a grandi parmi des tragédies sociales inconnues de celle qui la précédait. Nous sommes entrés dans la vie par cette terrible année de la guerre et de la Commune, et cette année terrible n'a pas mutilé que la carte de notre pays, elle n'a pas incendié que les monuments de notre capitale ; quelque chose en nous est demeuré, à tous, comme un premier empoisonnement qui nous a laissés plus dépourvus, plus incapables de résister à la maladie intellectuelle où il nous a fallu grandir. [10]

Pourtant, ce sentiment n'est pas le seul éprouvé : la Commune est avant tout un événement contradictoire qui mêle la fête et l'espoir au sang. Ce paradoxe historique paraît expliquer, au moins partiellement, le paradoxe d'une littérature qui va se constituer après la Commune, après 1871, à Montmartre même, qui incarne à la fois le lieu du sang versé pendant la Commune et la vie de cabaret qui ne tardera pas à s'y installer dix ans plus tard, en 1881, avec l'inauguration du cabaret du Chat Noir :

à l'écart des chantiers oppressants [l'édification du Sacré cœur comme rite de purification], quelque chose est en train de s'éveiller. Une fête d'abord factice qui, contradictoirement, veut oublier et garder la mémoire, s'étourdir et dénoncer encore. Ce qu'on appellera bientôt « l'esprit de Montmartre » est né du sang de la Commune et de la volonté de fuir l'horreur, fût-ce dans la plus frénétique dérision. [11]

Notes :