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Ling Lee (décembre 2005)

Hadriana dans tous mes rêves, René Depestre

Cet article a été rédigé par Ling Lee, originaire de Taïwan, arrivée en France depuis peu. Il est important de noter qu'elle ne maîtrise pas le français comme une langue maternelle.

Introduction

René Depestre

René Depestre est né à Haïti en 1926. Il est poète, romancier et essayiste, son écriture est pleine d'images fortes, parfois surréalistes. A l'âge de 19 ans, il fit paraître son premier recueil de poésie, Étincelles, en 1945 et il fut ainsi reconnu très rapidement. Il fonda un hebdomadaire La Ruche de 1945 à 1946 avec trois amis : Baker, Alexis, et Gérald Bloncourt.

Il poursuivit ses études de lettres et sciences politiques à la Sorbonne. A cette période, Depestre fréquenta les poètes surréalistes français et des artistes étrangers à Paris, ainsi que les intellectuels du mouvement de la négritude.

Il participa activement aux mouvements de décolonisation en France, ce qui lui valut d'être expulsé de France en 1950. Il entreprit alors son exil à travers le monde : il partit à Prague, à Cuba et aussi en Autriche, puis au Chili, en Argentine et au Brésil...etc.

Il publia Le Mât de Cocagne, son premier roman à Paris, en 1979. L'année suivante, il publia Alléluia pour une femme-jardin, qui reçut le Prix Goncourt de la Nouvelle en 1982. Et il publia le roman Hadriana dans tous mes rêves en 1988, qui reçut de nombreux prix littéraires comme le prix Théophraste Renaudot, le prix de la Société des Gens de Lettres, le Prix Antigone de la ville de Montpellier et le prix du Roman de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. René Depestre obtint la nationalité française en 1991. Il vit aujourd'hui dans le Sud de la France.

Le roman

Hadriana dans tous mes rêves est un livre inspiré par les souvenirs d'enfance de l'auteur à Jacmel. Jacmel est une ville au cadre naturel et prospère, pour Depestre, qui demeure toujours un espace de vivacité qui évoque plus de la joie de vivre que de la souffrance dans ses souvenirs. Il s'exprime dans l'entretien avec Mme Gauvin : « C'est peut-être de là qu'est sorti mon tempérament d'écrivain ou qu'est né mon goût de l'écriture. [1] » De plus, l'impression carnavalesque liée à ce pays influe intensément l'énergie de son écriture, qui est animée par la fête, la danse et la musique.

Le roman est divisé en trois grandes parties : le premier et le deuxième mouvements sont racontés par le personnage narrateur- Patrick Altamon : il s'agit du récit des événements de sa vie. Une jeune fille française Hadriana Siloé, sa soeur bien aimée est tombée raide morte dans sa noce après avoir dit "oui" devant l'autel. Cet évènement dans le récit pose une question importante : est-ce que notre héroïne est déjà sorti de là scène ? Ou bien est-elle un moyen stratégique pour questionner la réalité?

Au fur et à mesure, les lecteurs sont invités à travers le monde mythique et magique d'une croyance populaire, le vaudou dans l'espace haïtien, qui fait renaître cette jolie mariée sous la forme d'un zombie.

Le troisième mouvement est le récit par Hadriana elle-même : elle échappe à sa zombification et prend la parole quelques années après, et conte à tous ce qui s'est passé dans notre curiosité.

Le roman présente de façon problématique la question de la zombification et du vaudou autour des thèmes suivants : les produits de l'imagination et l'ambiguïté dans la culture populaire, la religion (le catholique et le vaudou), l'ambiance (le deuil d'Hadriana et la fête joyeuse haitïenne) et l'identité (le Blanc et le Noir).

Comme le titre le désigne, ce roman propose une bonne partie du discours du point de vue de l'imaginaire. L'auteur présente une capacité à jouer avec l'histoire et aussi avec les mots de façon très intéressante : par un jeu entre le réalisme et l'onirisme, et par une écriture caractérisée par l'humour.

Présentation thématique

René Depestre à la croisée des langues

La complexité linguistique d'Haïti

A cause des mouvements historiques qu'a connu Haïti pendant la colonisation, les écrivains de cette île ont quatre langues à leur disposition : le français, l'espagnol, l'anglais et leur langue populaire, le créole. Situation problématique, donc : les écrivains doivent choisir quel code linguistique utiliser pour décrire la réalité haïtienne, mais aussi en quelle langue faire parler leurs personnages. [2] Cela conditionne ainsi la vision qui va être rendue au public.

Le phénomène linguistique est présenté sur un ton ludique. Il attire l'attention d'abord sur les noms, notamment ceux des personnages. Nous pouvons trouver les traces de différentes langues autres que sa langue d'écriture (le français). Par exemple, Mam Diani, Ti-Jérôme, Okil Okilon, qui sont les noms en créole. En outre, le personnage Général Télébec est présenté par le narrateur comme "le perroquet centenaire de la préfecture" (H, p.19). Ce nom présente un homme en l'associant au bruit qu'il fait quand il parle, et au fait qu'il marque toujours un point d'exclamation à la fin de sa parole. Autre exemple, « Hadriana knock-out, battue à mort par K.-O. » (H, p.168) Cette expression rappelle des souvenirs du jeu de vidéo. K.-O. relève du langage moderne et radoucit un événement sérieux (la terreur de la mort de l'héroïne). On pourrait dire que l'auteur avoue son originalité en mêlant le français et l'anglais (avec "knock out"). Accumulant toutes ces dimensions langagières variées, l'auteur amène des images très fortes, très vives et abondantes lorsque l'on lit ce roman.

Une transformation de l'oralité à l'écriture

A Haïti, il y a une forme de narration orale appelée « audience » qui est comparable à la conversation de café comme on la connaît en France. [3] Les haïtiens racontent des histoires et les contes entre amis, voisins et en famille. Depestre dit qu'il est un conteur-né. Il aime inventer les histoires inspirées de la nature, comme le bonheur dans son enfance. Le roman Hadriana dans tous mes rêves est un exemple nettement éprouvant de cette narration typique. Car l'audience haïtienne est l'alliance de l'humour, la satire, la fantaisie avec une observation naturaliste de la vie. [4]

Même si Depestre s'exile pendant cinquante ans loin de son pays natal, Haïti vit toujours activement au sein de son inspiration et son esprit. La principale héroïne du roman, Hadriana, est une figure métaphorique de Haïti. René Depestre explique dans les Entretiens avec Lise Gauvin que pour constituer ce roman, il a commencé par ce prénom de femme Hadriana qui habituellement s'écrit sans H, mais avec un A en capital comme dans toute les cultures et tous les pays. Cependant, il a eu un sentiment de malaise pour continuer son écrit, peut-être en raison d'une prise de conscience de son identité d'origine, d'un malaise face à l'ambiguïté entre le créole et le français. C'est alors qu'il a eu l'idée de mettre un H devant Adriana car cela lui accorde une cohérence intime avec son pays, Haïti. Cela permet ainsi à Depestre d'arriver à retrouver la joie d'écrire. Le titre Hadriana dans tous mes rêves, est l'équivalent d'Haïti dans tous mes rêves : le destin d'Hadriana incarne celui d'Haïti.

L'esprit révolutionnaire de Depestre se dévoile autour du thème du vaudou et de la « zombification ». Tant que la quête de l'identité est enchaînée, l'aspect de la vie sociopolitique de ce petit pays est fortement engagé. Voyant que son pays a été exploité par la plantation, l'auteur suggère une prise de conscience qui mène à la résistance. De plus, René Depestre développe un langage poétique en valeur esthétique dans son écriture. En même temps, il atteint un équilibre dans l'ensemble du réel et de l'imaginaire haïtien. Voici un exemple de poème (H, p.146-147) du roman:

Une fois, bien des années
avant la mort de mon corps,
j'étais mort dans mon esprit,
j'étais allongé raide mort
dans mes rêves à la dérive
comme des voiles de mariée
en spirales dans le vent,
j'étais mort dans tous mes sens,
soudain une de nos îles me rendit
à la folie à l'échelle d'une femme,
le temps d'Hadriana Siloé,
le miroir qui prend racine
dans un soleil coupé en amande.

Cet extrait, tiré du chapitre « Le mal d'Hadriana » (H, p. 118), reflète le sentiment de l'auteur face au malheur de son pays : le mal d'Hadriana renvoie implicitement au mal d'Haïti. L'oeuvre de Depestre rappelle souvent la douloureuse histoire et la dramatique condition des peuples. Dans ce sens, René Depestre a rencontré une période de transition langagière : ce malheur d'un peuple est plus ou moins associé au rapport de l'auteur avec la langue française.

Despestre n'éprouve pas de difficultés à manier la langue française, puisqu'il a été à son contact dès son enfance. Mais sa fièvre décoloniale lui provoque par la suite le sentiment d'écrire contre le français. Il dit dans l'entretien avec Mme Gauvin :

Mon combat anti-colonialiste utilisait les armes de l'adversaire négrier pour essayer de le battre sur son propre terrain, avec ses mots les plus intimes. [5]

Ce concept révèle le potentiel de crise dans la littérature francophone surtout dans son rapport avec le post-colonial.

L'imagination collective dans le langage chez Depestre

Une réflexion sur un choix d'écriture

Pourtant, après cette crise liée à la situation de diglossie, il existe un moyen de dépasser ce malheur de la langue. Après quelques années de confrontation et de réflexion, le romancier exprime enfin son soulagement :

J'ai fait la paix en moi entre le créole et le français.

Il parvient à une volonté de n'écrire ni contre le créole, ni contre le français, mais de maintenir le créole dans son usage du français.

A Haïti, la langue officielle est le français alors que la langue nationale est le créole. Dans ce pays bilingue, René Depestre choisit le français comme langue d'écriture mais garde des possibilités ouvertes des mœurs créoles, puisque sa langue "naturelle" [6], le créole, est considérée comme une langue orale et impropre à l'écriture.

En outre, le français est peut être aussi un moyen pratique de communication pour se faire entendre et lire dans le monde, puisqu'à Haïti, 90% des gens sont analphabètes créolophones, ce qui n'assure pas une place d'autorité.

Dans le roman Hadriana, nous pouvons distinguer la présence des termes créoles : par conséquent, l'auteur ajoute quatre pages de glossaire des termes haïtiens (H, p.211-214) à la fin du roman, où il explique les mots créoles. Un certain nombre de mots créoles risquent de créer une distance culturelle, notamment entre l'écrivain et son public français et étranger : le glossaire permet aux lecteurs non créoles de mieux se rattacher au contexte.

Maintenant regardons le deuxième extrait du roman (H, p.196-197) : ce passage a lieu après qu'Hadriana soit ressortie de sa tombe : elle est découverte par trois hommes.

Avec un beau morceau de femme comme toi, tout ira vite et bien, il a dit. C'est une potion maison que papa Rosanfer a étrennée spécialement pour son petit bon ange de France!

(...)

Désormais, tout ce qui est à l'endroit dans ta vie de femelle blanche sera mis à l'envers nègre, à commencer par ton nom de famille : Hadriana Siloé, ça ne va pas à un zombie, il y a trop de sel blanc dans ce nom. Je te baptise à mon tour : Eolis Anahir-dah! Voici ton nom de négresse-femme-jardin à papa Rosanfer. Oui, le maître de ton derrière-caye*, c'est mon don Rosalvo Rosanfer, grand nègre du Haut-Cap-Rouge devant Baron-Samedi l'Éternel! Eolis, Ti-Lilisse, Ti-dah chérie, ohohoh! C'est déjà tout ensoleillé là-dessous. Il est déjà midi passé sous ces voiles. Je mets tout à l'envers dans ta vie, sauf, sauf... sauf quoi, d'après toi ? Tu donnes ta belle languette au chat ? Bien sûr, tu ne peux pas imaginer...

Pendant ce temps ses doigts remontaient en crabe, fiévreusement, le long de mes cuisses.

Sauf ça! Dit-il en plaquant brutalement sa main de cultivateur contre mon amande. Parlez d'un mille-feuilles dans la main d'un docteur-feuilles*! Bonjour fleur-soleil-levé! Bonjour baubo de reine Erzili-Fréda! Félicitations, Madan Rosalvo! Mes amis ohohoh! La mariée a un loa-marassa-blanc* sous ses voiles! Zombie-matelas à Général Rosanfer! Pommes jumelles, étoffe à deux endroits, salut oh!

Derrière-caye : arrière-train (littéralement : « derrière la maison »).
Docteur-feilles : rebouteux.
Loa-marassa-blanc : dieux jumeaux.

Ce passage exhibe non seulement les noms et les termes créoles, mais aussi et surtout un imaginaire créole. Par exemple, le petit bon ange : le glossaire explique que chaque individu porte en lui deux forces, deux âmes : le petit bon ange et le gros bon ange ; le zombie fait partie du mythe du vaudou : quand le vaudou fait renaître une victime sous la forme de zombie, il a besoin du sel pour sa sorcellerie.

Langage sexuel : l'érotisme haïtien

Chez Depestre, la notion de langage sexuel s'exprime de façon excessive et débridée dans son écriture. Il fait aussi un transfert de sensation sur ses personnages. Depestre explique que dès son plus jeune âge, il a toujours eu une vision solaire, éclairante, presque illuminée, des choses de l'amour. Depestre appelle cela l'érotisme solaire haïtien. D'ailleurs il veut rattacher ce genre d'expérience érotique à une sorte de merveilleux dans le roman. Selon une vision à la fois érotique et esthétique avec la femme, le discours semble libérer l'imaginaire dans sa pratique textuelle.

Dans l'extrait ci-dessus, on peut noter les exemples :

Pendant ce temps ses doigts remontaient en crabe, fiévreusement, le long de mes cuisses

et

Sauf ça! Dit-il en plaquant brutalement sa main de cultivateur contre mon amande

Par ailleurs, la figure de la « femme-jardin » à l'haïtienne donne aussi au texte une ambiance hautement érotique. Elle évoque un sentiment amoureux domestique proche de la nature, associant la femme à la fleur fleurissante.

Néanmoins, un des exemples les plus nets de l'histoire sexuelle dans ce roman est celui d'un personnage qui s'appelle Balthazar Granchiré (H, p.28-30). Après avoir couché avec la femme-jardin de son sorcier Okil Okilon, Balthazar est transformé en papillon par punition. Il est alors inscrit dans son destin qu'il devra désormais coucher avec les femmes pendant leurs sommeils. Après les coïts, les victimes de Balthazar racontent des rêves d'un vol fabuleux, avec la joie et des plaisirs sexuels. Il y a aussi beaucoup d'expressions de toute audace comme :

Elles entendaient leur propre voix crier. « Monsieur, à table! C'est servi chaud ! » (H, p.30)

ou

...au-delà des interdits jetés entre les spermato-zoïdes des mâles noirs et les ovules des femelles blanches. (H, p.78)

Le corps de l'héroïne Hadriana est le symbole d'une fête jouissante :

Hadriana était nue de la pointe des orteils au bout des cheveux, merveilleusement nue partout. Toutefois, au-dessous du nombril sa chair de vierge tenait du prodige ! (H, p.25)

Pourtant celui-ci tend plus vers une forme d'esthétique que vers un érotisme insolent et gratuit. Hadriana est une fille que le narrateur Patrick a beaucoup admirée et convoitée, et la sensation mystique de l'amour envers les femmes est aussi un motif essentiel du roman. A cet égard, je pense que la mise en avant de cette sensibilité exquise donne de la saveur à l'oeuvre et renforce la relation de l'écrivain avec son lecteur. D'ailleurs, René Depestre montre la fonction de l'érotisme solaire dans le roman :

Ce que j'essaye, c'est d'étendre la notion de réel merveilleux [7] aux relations de la femme, aux libres relations érotiques entre tous les êtres adultes. [8]

Langage satirique : les couleurs raciales

René Depestre défendait depuis longtemps la décolonisation : une de ses proses célèbres, Bonjour et adieu à la négritude parle de l'imaginaire du colonialisme et de valeurs morales. Comme dans ce roman Hadriana, la valeur symbolique de la hiérarchie sociale est suggérée par la thématique des couleurs. Notamment autour du thème de zombie, les expressions et les métamorphoses font l'objet d'un traitement social et culturel sous la colonisation. L'auteur adopte un langage plus satirique que purement descriptif.

Du même extrait ci-dessus (p.5): « tout ce qui est à l'endroit dans ta vie de femelle blanche sera mis à l'envers nègre » et « il y a trop de sel blanc dans ce nom » relèvent une conscience de l'identité. D'autres exemples traitent de la hiérarchie sociale et des couleurs liées à la race dans le roman :

Son visage de gaie... avait pris le masque tragique d'un nègre... (H, p.18)

... un air de Blanc sans foi ni loi, une foutue tête de mort ! (H, p.27)

... aveuglèrent avec un colorant blanc (H, p.49)

les servantes noires (H, p.51)

La balle de ce primitif ping-pong était tantôt noire, tantôt blanche, jaune ou rouge (H, p.62)

La politique est aussi une des composantes de l'imaginaire créole. Ce langage satirique colore plus ou moins le sens sociopolitique de ce roman. Néanmoins, grâce au ton ludique et l'inventivité fantastique de Depestre, notre lecture devient un bonheur de découverte, de pensée et nous pouvons nous laisser prendre au plaisir des jeux de mots et de langage :

Madan Danoze, soyez la bienvenue à la prison de la pensée et du rêve. Votre demeure sera désormais cette maison centrale où s'écoulent en paix les jours de mille petits bons anges enfermés à perpète pour les motifs les plus divers. (H, p.175)

..., ceux qui croient au zombie sont des cons, ceux qui n'y croient pas sont encore plus cons ! (H, p.131)

L'héroïne Hadriana, un rôle symbolique de la langue

La représentation féminine dans un récit littéraire

Ce roman est basé sur un jeu entre le réalisme et l'onirisme. En jouant sur les histoires et la chronologie, René Depestre élabore un piège littéraire : même s'il annonce dans le prélude de son roman que :

Toute ressemblance avec des individus vivants ou ayant réellement ou fictivement existé ne saurait être que scandaleuse coïncidence.

En ce qui concerne le rapport d'Hadriana avec la langue, on peut aussi réfléchir à propos du critère historique du mouvement littéraire haïtien. La littérature haïtienne entretient avec la langue française un rapport problématique : son statut est toujours menacé de précarité, et les années 1938-1940 constituent une époque charnière, car elle a été renouvelée (pour René Depestre) par le choc des deux langues, maternelle (le créole) et intellectuelle (le français).

En même temps, le lyrisme a libéré la composition romanesque [9]. Regardons les événements situés autour de la zombification de l'héroïne Hadriana lors de l'année 1938. Est-ce un rêve du narrateur qui coïncide avec une réalité ? Ou bien est-ce que ce personnage féminin témoigne d'une évolution romanesque (ou langagière) du récit ? La réponse est ouverte pour le lecteur.

L'adhésion d'écrivain à la langue française

Le choix d'une héroïne française n'est pas anodin et relève d'une stratégie littéraire. Hadriana Siloé est belle, en quête de liberté et allie les charmes mythiques de la France aux attraits d'une fée créole, elle est la métaphore de la libre adhésion à la langue française. Ce choix chez le romancier est comme une acceptation joyeuse qui fait partie de sa vie et de son goût. Pour l'auteur, la forme de zombie d'Hadriana ou de la langue française serait un des pouvoirs mythiques du destin. Après avoir échappée à sa zombification, la joie d'être de nouveau vivante rejoint les mœurs créoles de son âme :

C'est une potion maison que papa Rosanfer a étrennée spécialement pour son petit bon ange de France! (voir l'extrait ci-dessus p.5)

Rappelons-nous du rapport de René Depestre avec la langue française : il a d'abord été un jeune homme en rupture, puis il réagit par le combat anti-colonialiste contre cette langue venue d'ailleurs. Il parvient à une période paradoxale entre les pensées de révolte et le charme de la culture française ; enfin, il trouve l'équilibre en maintenant la valeur de ces deux langues, alors qu'il fait naître une nouvelle forme d'écriture. Cette évolution que connaît l'auteur correspond, dans le roman, à l'aventure de Hadriana : elle passe de l'état de vivante à morte, puis de mort-vivante à vivante.

Je dirais que la représentation d'Hadriana pourrait n'être pas seulement une métaphore de l'état à moitié vive ou à moitié morte dans le conflit silencieux de son acceptation de langues, elle joue aussi un rôle dans l'adaptation de la langue française de l'extérieur à l'intérieur. La langue française de l'état de vivante correspond à la joie dans sa jeunesse ; l'état de morte correspond à sa défense de cette langue ; Ensuite, l'état de mort-vivante représente le fait que le charme de la culture française a été perdu : il n'existe qu'une forme d'écriture ; enfin, sa renaissance est sans doute sa retrouvaille du plaisir et de son propre langage en écriture. René Depestre atteint finalement un art romanesque au niveau de la langue : sa quête de liberté dans la langue est aussi celui de son imagination et de la créativité du roman.

Conclusion

Le roman Hadriana dans tous mes rêves condense les rapports entre la langue, la culture et l'identité comme la position que tous les écrivains francophones vivent. La langue d'écriture chez René Depestre n'est pas seulement une façon de donner forme à sa pensée et à ses rêves, mais aussi une arme pour défendre la langue elle-même dans son adolescence, et la transmission de facteur multiculturel dans son imaginaire créole. Sur le ton de l'humour, l'érotisme solaire et le réel merveilleux haïtien sont au service d'une créativité romanesque.

On peut conclure sur l'idéologie du roman en citant cette phrase :

Hadriana se voulait française par ses goûts, créole par ses mœurs, libérale en politique (H, p.124).

Post-lecture

La connaissance de la langue créole me permet de rendre compte de ma langue maternelle, la langue taïwanaise. Je pense que la langue créole et la langue taiwanaise sont en quelque sorte similaires.

Premièrement, elles sont les langues mêlées par plusieurs langues dont une langue dominante est de celle d'immigration. Le créole : les dialectes français, des langues africaines Le taïwanais : les dialectes chinois, la langue japonaise

Deuxièmement, elles sont soumises/consenties plus ou moins dans une autre langue ou culture sous la colonisation. Le créole : la langue et culture française, la langue anglaise... ; Le taïwanais : la langue et culture japonaise

Troisièmement, elles n'existait depuis que par l'oralité. Le créole : mise en forme d'alphabet française ; Le taïwanais : mise en forme du caractère chinois.

Cette réflexion sur ma langue maternelle et sa composante culturelle est une expérience très précieuse. En somme, le créole et le taiwanais se sont élaborés à partir de situation de dominations politique et linguistique similaires. Aujourd'hui, il y existe déjà un certain groupe pédagogique travaillent sur la création d'écriture taïwanais. Vu que le caractère chinois est basés sur l'idéogramme, on peut ainsi l'empreint dans le sens taiwanais. Cela est effectivement une progression de valoriser une langue mineure. L'analyse linguistique et la comparaison avec l'autre me provoquent plein d'idées sur la littérature post-coloniale au niveau de langue.

Notes

Bibliographie